Le loup gris sourit en entendant Stan décrire sa fille. Il devait vraiment l'aimer beaucoup. En même temps, c'était souvent le cas quand on adoptait un loupiot : la vie était dur, on ne prenait la responsabilité de quelqu'un d'autre que soit même uniquement dans le cas ou cette personne était extrêmement important à nos yeux.
Puis il réfléchit à la question du loup roux. Hum. Son style de louve. Il avait eu une vie assez atypique jusque là, pas vraiment le temps de s'intéresser à elles. Enfin, il en avait connu, mais comme on en connaît pendant la guerre... Sans vraiment s'attacher. Finalement, il haussa les épaules :

"Et bien, je ne sais pas vraiment... Une louve honnête et énergique, je pense. Qui veuille bien d'un loup cabossé comme moi !"

Il rit doucement. Il ne s'apitoyait pas sur son sort, c'était juste qu'il n'était plus le beau loup qu'il avait été. Mais il avait peut-être gagné en charme, après tout. Omaha avait remarqué la façon dont Stan avait secoué la tête. Il haussa un sourcil. Lui cachait-il quelque chose ?

"Et toi ? Une louve t'intéresse ?"

Les grands yeux d'Omaha s'écarquillèrent un moment. D'après ce qu'il avait compris, Stan était amoureux de la soeur de sa fille adoptive ? Quelle situation étrange. La différence d'âge devait être importante aussi, au moins deux ans et demi, trois ans, ce qui dans l'absolue n'était pas énorme mais cela frappait quand même entre une loupiote et un jeune loup. Les sentiments qu'il éprouvait semblaient ronger l'Aventure de l'intérieur. Il avait à la fois l'air furieux et honteux, et le Tranquille pouvait très bien le comprendre. Il ressentirait certainement la même chose dans cette situation.

Comme toujours, Winter réfléchît longtemps avant de parler. Que pouvait-il bien dire ? Il n'était pas du genre à juger les autres, simplement parce qu'il n'aimait pas qu'on le juge. Finalement, il se décida à répondre, d'une voix douce et calme, sans reproches.

"Et elle te voit comment, elle ?"

Omaha regardait Stan avec de la douceur dans les yeux, encore. Son étonnement était passé, et il s'expliqua au jeune loup. Sa voix était calme et grave, mais joyeuse également.

"Tu sais, j'ai vu beaucoup de haine dans ma vie. Des gens sont morts parce que quelques uns voulaient plus de territoire, plus de pouvoir. Quand on avait faim ou froid, quand le temps nous paraissait long et que nous voulions juste en finir, mes camarades et moi, la seule chose qui nous maintenait en vie était de penser à ce que nous défendions. Il y avait des valeurs comme la justice et la liberté, bien sûr. Mais c'était surtout de penser à ce que nous éprouvions pour notre famille, pour nos amis. C'est de l'amour aussi. C'est ça que nous défendions. Nous voulions avoir le droit de vivre et d'aimer nos proches en paix. Alors qu'elle soit jeune, et qu'elle soit une Nocturne, peu importe, tu comprends ? Tout ce qui compte, à la fin du monde, c'est l'Amour."

Winter toucha doucement l'épaule de Stan de sa truffe, pour l'inciter à lever les yeux et à voir qu'il était sincère.

Winter ne répondit pas à Stan, qui soudainement sauta sur Deamon. Ce dernier l'évita, mais ça y est, c'était parti. L'adrénaline commençait doucement à monter dans ses veines. Bon sang, il avait oublié cette sensation avant un combat, le coeur qui bat plus vite, le sang plus fluide, et surtout, la douleur de sa patte qui diminue, diminue... Il en grogna presque de plaisir, mais n'avait pas le temps pour ça, Stan commençant vraiment à chauffer. Le Tranquille n'était pas venu ici, en particulier sur ces terres-ci, pour voir ça. Il comprenait Stan, qui avait sûrement passé chaque minute de ses jours depuis que Deamon avait tué son frère à vouloir le tuer. Mais ça ne changeait rien. L'Aventure n'avait certainement jamais tué personne, voilà. Il ne savait pas ce que c'était. Car même si le Noir le méritait peut-être cent fois, c'était le Roux qui allait devoir vivre avec sa mort sur les épaules, et c'était un poids lourd à porter.

Le regard d'Omaha devint froid et absent, légèrement furieux aussi. Sa fourrure se gonfla et ses oreilles étaient bien dressées sur son crâne. Il redressa ses babines, montrant les belles dents blanches qui lui avaient souvent servi, et sa queue se leva pour être dans le prolongement de son corps. Le loup gris sauta entre les deux étrangers sur ces terres, face à Stan. Il grogna sur ce dernier, et lui aboya même un bon coup dessus, histoire de lui montrer que c'était à lui qu'il allait avoir à faire s'il continuait comme ça. Et à cette instant précis comme pour les prochaines minutes, il n'était pas le gentil Tranquille que Stan avait rencontré. Il était un ancien guerrier qu'on embêtait sur ses terres alors qu'il voulait du calme. Un grognement menaçant sortait de sa gorge, qui s'adressait aux deux loups.

Omaha, je te laisse 5 secondes pour te pousser. 1... 2... 3... 4...Le loup gris grogna de nouveau. Il avait repoussé l'Aventure une fois sans le blesser, mais ça allait devoir changer. Stan était en train de perdre de vue qui il était. Il était jeune, il ne comprenait pas encore, apparemment, que toute action avait des conséquences généralement bien plus grandes qu'elle, la meilleure image étant celle de la boule de neige déclenchant l'avalanche.
Le Roux le chargea alors. S'il s'attendait à ce que Winter ne réagisse pas, il se trompait. Le Gris savait ce qu'il était à ses yeux en ce moment : un obstacle qui se tenait entre lui et sa vengeance. Il n'était plus un ami, il n'était plus personne. Bien. S'il voyait les choses comme ça, tant pis pour lui. Quand Stan arriva sur lui, Omaha mit à profit son expérience au combat. Il mordit violemment, sans hésitation, une patte avant de l'Aventure, puis bondit aussitôt pour se remettre face à lui, devant le Nocturne.

"Si tu es prêt à tuer un ami pour voir le Nocturne mort, tu ne vaux pas mieux que lui. Quoique lui, il s'assume. Tu n'as jamais pris une vie, et la vengeance n'est pas une assez bonne raison pour commencer."

Sa voix était sèche et d'une violence rare venant de lui. Ce que Winter avait retenu de la vie qu'il avait vécu, c'est que seule la Paix méritait qu'on se batte pour elle. Et vu que c'était ce pourquoi il montrait les crocs en ce moment, Stan devait faire attention à lui. Il ne risquait pas la mort, mais une longue convalescence, certainement. De plus, Omaha n'avait rien à perdre depuis longtemps.