• La bouche entr'ouverte, la femelle dormait à poings fermés. Le soleil d'hiver brûlait sa fourrure marron clair ; ses paupières voyaient un monde multicolore. Le doux sommeil paradoxal la faisait parfois tressaillir. Tout son être se réchauffait ; l'air dans la grotte était agréable. Les autres loups étaient tous sortis ; seule la hyène se reposait encore. Il faut dire que l'on était à une heure avancée de l'après-midi ; il n'y avait qu'elle qui avait le droit de rester encore. Il n'y avait pas beaucoup de charognes ces temps-ci, et Ridere préférait économiser ses forces plutôt que parcourir inutilement la campagne. Il lui arrivait parfois, en effet,
  d'avoir des pensées sages.
  
  
• Elle était là, au milieu de ses frères et soeurs, lovée près de sa mère. Ses grognements la berçaient, lui rendant la nuit plus agréable. Le soleil se levait peu à peu, éclairant d'une lumière écarlate le terrier. Dehors les autres adultes se disputaient, discutant âprement de la bonne solution à prendre. Les yeux grands ouverts, la petite regardait sa chère génitrice. La bouche en coeur, elle venait titiller son museau, désirant jouer. Se laissant faire avec bonne grâce, la mère avait un sourire aux lèvres, un sourire de bonheur...
  
  
• Ridere se réveilla brusquement. Fronçant les sourcils en voyant l'endroit ou elle était, elle se rappela que ce n'était qu'un rêve. Déçue, elle se leva et se secoua comme pour faire partir la poussière, ce qui provoqua un immense nuage de poussière. Eternuant, toussant, se frottant les yeux, la femelle s'assit. Elle n'avait pas envie de sortir, mais continuer de dormir aurait été stupide. Laissant échapper un baillement, la hyène ne broncha plus pendant quelques minutes, dodelinant de la tête. Elle bronzait à moitié, c'était divinement bon. Mais il lui manquait une once de distraction pour être contente.
  
  
• Ce que la hyène appelait une once de distraction, c'était un loup. Les loups l'amusaient follement ; elle adorait les écouter parler et se moquer d'eux ; les conversations qu'elle menait avec eux se finissait inexorablement par des éclats de rire. Rire, elle ne pouvait s'en empêcher ; elle était une hyène et toutes les hyènes ricannent pour un rien ; mais il faut tout de même savoir que même pour une hyène, Ridere riait beaucoup. Elle se foutait de la gueule de tout le monde, même son patron ; et elle ne se prenait jamais la moindre égratinure, tout simplement car les moqueries des hyènes sont la loterie de la vie et non pas une véritable insulte.
  
  
• L'animal commençait tout de même à s'ennuyer ferme. Personne ne passait par ici ou quoi ?
  

Orion marchait comme une machine. Son pas était régulier, imperturbable, il filait droit. Enfin, filer, c'est un bien grand mot, car il marchait. Il marchait... plutôt lentement. Le vieux loup n'avait pas envie de se presser. Il allait simplement passer voir son frère, le saluer, puis repartir, et s'ennuyer. Le loup gris ralentit, devenant carrément lent. Oui, s'ennuyer. Plus de combats, plus rien. Sa vie se réduisait à l'ennui. L'ennui des vieux car ils ne sont plus dans le coup. Mais c'était faux, et ça, il le savait. Oui, il avait été un combattant incroyable, amassant victoire sur victoire. Mais il l'était toujours. Tueur un jour, tueur toujours. C'est comme ça, quand tu goutes au sang, tu ne peux plus t'en passer. Mais certains 'vieillissent' mal : Ils perdent l'envie de tuer, ils finissent par devenir inutiles... Mais au fond, ils ont toujours ce côté qu'ils ont réveillé en faisant du mal, oui, cette face cachée qui n'attends qu'une nouvelle vague de colère pour pouvoir revivre.

Orion soupira alors, est-ce qu'il faisait partie de la seconde catégorie ? Il espérait que non. Vu comme son frère était devenu, si il restait le vieux Orion qui ne faisait pas de mal à un papillon, Sam serait empli de honte. Mais il le savait, il n'était pas comme ça. Il espérait, il espérait.

Alors que le vieux loup gris marchait encore, il se demandait si, au final, son frère serait aux grottes. Malheureusement, le vent ne lui apporta qu'une odeur inconnue. Bon.
Il n'avait tout de même pas fait ce chemin pour rien ?! L'ancien combattant décida finalement de se rendre au lieu où couche habituellement la majorité des Nocturnes. Cette meute, il allait l'intégrer car, dormir à des endroits différents chaque jour, c'était chiant alors que les grottes, c'était la classe. Et puis, c'est bien ce qu'il méritait non ?

En arrivant à destination, Orion fut surpris d'y découvrir une hyène. Boah, pas tant que ça après tout, mais bon. Elle était charmante cette petite, admirez moi cette mâchoire ! Mroaw. Le vieux loup ne put s'empêcher à l'époque où Sam, Lew et lui jouaient comme des gamins, dans un lieu semblable aux grottes. Comme une famille. Famille. Mot totalement oublié par Orion, jusqu'à ce jour, et encore.

S'approchant de la hyène, le vieux loup la salua.

- Bonjour, Mademoiselle Nocturne.

Allez, un ami, ça fait pas de mal, un ennemi, c'rien qu'un en plus.

• Tandis que la hyène continuait à s'ennuyer avec ses caillous, un loup approcha. Aussitôt, intéressée par l'inconnu, elle leva la tête. Intriguée, elle détailla le grand mâle gris, probablement un solitaire vu l'odeur. La première chose qu'elle remarqua fut son air las, fatigué et désespérement snob. Oui, il avait l'air de regarder le monde de haut, depuis son piedéstral d'ancêtre. Car il fallait le dire franchement : il était vieux. On aurait cru que le moindre coup de vent l'aurait réduit en poussière ; si la hyène l'avait poussé, il se serait sûrement écroulé. Malgré une forte ossature et un bon gabarit, il faisait sac d'os empli d'oxygène. Cette métaphore fit rire l'animal ; heureusement l'intéressé était encore trop loin pour l'entendre.
  
  
• Le loup gris paraissait étonné de rencontrer Ridere ; il semblait chercher quelqu'un, en vain. C'était peine perdue, il n'y avait plus personne à part la hyène dans les environs, à moins qu'il veuille sillionner les terres Nocturnes. De toute manière il n'aurait pas pu faire un pas de plus, il était épuisé. Son éternel sourire aux lèvres, la femelle le regarda venir, lentement, mais sûremment. Il adressa aux grottes un regard d'amoureux, comme s'il les connaissait. Etait-ce un ancien Rouge ? En fait cela importait peu ; ancien Nocturne ou pas si ce solitaire rencontrait un vrai Nocture (un loup bien sûr) il se ferait tailler en pièces. En théorie du moins.
  
  - Bonjour, Mademoiselle Nocturne.
  
  
• Surprise par ce traitement de faveur, elle qui n'avait pas souvent le droit à une marque de politesse dans la meute (que des impolis, pheu !), la hyène s'en amusa aussitôt. Si elle racontait à ses semblables qu'un loup l'avait appelée 'Mademoiselle', et l'avait appelée par un nom de meute en plus, elle serait traitée de menteuse (ou de bonne blagueuse, entre hyènes...). L'imitant avec le même accent pompeux, elle répliqua gentiment :
  
  - Bonjour, Monsieur le solitaire.
  
  
• Se demandant qui pouvait bien chercher le vieux lupin, Ridere réfléchissait. Qui était le plus souvent recherché de sa meute ? Psychose le dominant ? Sûremment. Après tout, ce devait être normal : politiquement parlant, c'était lui le plus influent, il était dominant tout de même ! Bon, c'était un mec, mais bon. Dans sa tête de hyène, la femelle pensait que seules les filles pouvaient régner. Les mâles, rien à faire ! Encore un truc de loup ça. Bah ! Autant demander à l'ancêtre qui il cherchait... Parlant à nouveau avec son accent typiquement hyéneux, Ridere ajouta :
  
  - Si vous cherchez l'boss, l'est pas là. Et si vous cherchez quelqu'un d'autre, l'est pas là non plus. Ils sont tous ailleurs.

Orion inspira un bon coup. Paraître vieux face aux autres alors qu'il était encore plein d'énergie, cela était trop faiblard. Le vieux combattant gris ne regardait plus la hyène mais les grottes. Esquissant un sourire plein de douceur envers le lieu, il se reprit et son visage parut en pierre; de nouveau. La Nocturne avait l'air amusé qu'il l'ait appelé ainsi. Pourquoi ? Aucune idée. Après tout, lorsque quelqu'un rentrait dans la meute, qu'il soit faible, fort, petit, grand, vieux, jeune, amusant, lourd, poli, vulgaire et enfin, lupin ou pas : Il faisait tout de même partie de la meute. Chacun avait son rôle, chacun avait sa place. Chacun devait avoir confiance envers les autres, une meute avance soudée, et, le vieux loup se rendit compte de la raison pour laquelle plus jamais il ne pourrait s'incruster dans une meute : Sa confiance en les autres était nulle, elle avait disparue. Depuis que son sauveur l'avait abandonné, plus personne ne pouvait l'attendrir, se procurer ce qu'on appelle "L'amitié". Seul Sam comptait maintenant. Seul Psychose. Son frère, son protégé, son petit faiblard devenu un tueur, un dominant, un respecté. Alors que lui, Orion, la bête, avait perdu toute sa réputation en s'échappant des arènes. Et le voilà, qui, aux yeux des autres, paraissait faible et vieux. Le voilà... Oui, le voici... Ennuyé de la vie.

Reportant de nouveau son regard vers la hyène, il esquissa de nouveau un sourire qui aurait pu éclaircir son visage gris. Mais rien n'y fit, sourire ou pas, seuls douleur et soif de vengeance se reflétait sur le museau de Orion.

- Oui, je cherchais l'patron.

Décidant de s'asseoir, le Solitaire garda ses yeux fixés sur Ridere. Elle avait l'air intéressante, mais, finalement, sans plus. Elle n'avait pas l'air de l'apprécier. La hyène faisait comme elle voulait, après tout. Personne ne l'aimait, cela ne changeait rien à rien.

- Que faîtes vous seule, madame nettoyeuse ?

Les hyènes, il les avait vues, de temps en temps, aux arènes. Les faire se battre distrayait tout autant les humains que les combats canins. Peut-être qu'ils s'étaient déjà vus ? Humant l'air un bon coup et aspirant l'odeur de Ridere, Orion put confirmer qu'il ne l'avait jamais croisé. Dommage, des compagnons d'armes, c'est toujours bien à retrouver.

• Le vieillard tenta de sourire. Pourtant, cette tentative n'aboutit au final qu'à un grimacement qui disparut aussitôt. Il n'avait rien de l'assurance du jeune loup sûr de lui ni celle du vétéran d'âge mûr expérimenté. Il n'était plus grand chose, en fait. C'était un parchemin que l'on devait sûremment interroger lors des disputes familliales, avec des questions du genre "Dis le vieux tu te souviens s'il avait dit telle chose ?". Et le vieux de répondre "Je suis pas un document !". Pourtant, il l'était, le pauvre.
  
  
• Rouvrant la bouche dans un effort qui semblait lui écorcher la langue, la hyène crut qu'il allait se fondre en poussière quand il répondit simplement et clairement :
  
  - Oui, je cherchais l'patron.
  
  
• C'était balaud, elle venait de lui dire qu'il était pas là. S'attendant à ce qu'il reparte de son pas de marche funèbre, elle s'étonna en voyant que le vieux gris restait là, à ses côtés, au lieu de partir à la recherche du boss. En même temps, soit il restait là et il se reposait après sa dure marche, soit il s'en allait en s'effritant tristement. Mieux valait la deuxième solution. Non pas que Ridere se soit prise de pitié pour lui ; elle n'avait juste pas envie de manger le cadavre du solitaire, car vu le peu de peau qui lui restait ce ne serait pas un repas agréable. Même un corbeau aurait dédaigné ce morceau (sauf les yeux, ils aiment ça).
  
  
• S'asseyant lourdement, il lui faisait face. Qu'est-ce qu'il voulait ? Une discussion de vieux compagnons de guerre ? Désolé, mais ce n'était pas son truc. Elle aimait bien les blagues, les débats stupides, mais les trucs d'anciens paquets de muscles redevenus sacs d'os, elle n'aimait pas. Chacun son truc. Espérant cependant que l'animal serait un bon sujet de distraction, elle attendit partiemment qu'il engage la conversation tout en jouan avec son maudit caillou. Petit rocher chéri, tu es bien moche...
  
  - Que faîtes vous seule, madame nettoyeuse ?
  
  
• Bonne question. Riant cette fois-ci ouvertement de la question qui lui était posée, la hyène pencha la tête sur le côté. Qu'est-ce qu'elle faisait ? Pas grand chose, mais vraiment pas grand chose. Et ce petit nom typique, "madame nettoyeuse" ! Du "Mademoiselle" poli, il était passé au "madame" ironique. Ridere sentait qu'elle allait bien aimer cet énergumène. Plus on se foutait de sa gueule, plus elle s'amusait. Y'a que les hyènes pour comprendre ça, cherchez pas ! En fait, son âme soeur était peut-être cet ancêtre en miettes. Ou pas. Morte de rire à cette idée loufoque, elle répondit les larmes aux yeux :
  
  - Je m'amuse.

• En fait, contrairement aux apparences, Ridere crevait la dalle. Doucement, mais sûremment, elle sentait ses entrailles se tordre, réclamant sa bouffe bien puante de charognard. Les gens, la cloche a sonné, tous à la soupe ! Franchement, la nature avait dû bien s'amuser à régler l'horloge interne de tous les animaux terriens. Pendant que l'un grignote constamment, l'autre mange à midi moins le quart à chaque fin de mois... Cela faisait partie des raisons pour lesquelles la hyène aurait adoré jouer les plombiers dans la machinerie terrestre. Sans aucun égard pour la plupart, elle aurait planifié pour les diurnes un petit goûter de minuit, pour "rigoler"... Attention, je vous rassure, c'est pas méchant hein ! Enfin, ça dépend du point de vue...
  
  
• La tachetée regarda avec complaisance le vieux solitaire. Alors, le parchemin, on tente de se remuscler la mâchoire ? Hé oui, l'ancêtre souriait, miracle ! Certes c'était un sourire de momie égyptienne, mais cela restait un sourire, un charmant sourire même, à en faire pâmer les plus belles figures People Wolfiennes. Il faut le dire, c'était mignon, c'était tendre, et la femelle l'adora dès cet instant. Ah, ce petit inclinement de la tête, ce petit air, un régal de hyène en célibat !
  
  - Oui, en effet, vous avez l'air de profiter de la vie.
  
  
• Ridere lui répondit par un sourire complice. C'est sûr que lui, il pouvait plus vraiment profiter. Qui s'intéresse à un être aussi ennuyant à part ses proches ou une hyène sans occupation apparente ? Personne, bien sûr. Un élan de pitié la força à le regarder dans les yeux. Au moins, il avait toute sa tête, c'était déjà ça. Quoique, s'il avait été totalement gâteux, ç'aurait été plus amusant tout de même. Parler à un vieux philosophe las et fatigué du tourbillon de la vie, c'était drôlement déprimant, enfin pour un loup normal. Pour une hyène, c'était intéressant.
  
  
• La femelle remua incerptiblement la queue. Elle avait envie de tester les réactions du vieux. Pourquoi ne pas profiter à fond de l'occasion ? Elle avait toujours affaire à des loupiots ou à de jeunes loups pleins d'espoir (ou pas). Elle avait enfin un spécimen de dépression avancée, pourquoi ne pas s'amuser ? Tout était permis, tout était possible. De multiples possibilités s'offraient à elle : le mordre, le taquiner, le menacer, lui tirer la queue, lui poser des questions... Qu'allait-elle faire ? Qu'allait-elle choisir ? Elle hésitait...
  
  
• Soudain, elle le bouscula en effectuant une violente pression sur l'épaule. Tombant en arrière, le solitaire se retrouva à terre. Lui sautant dessus, Ridere avait les yeux brillants d'allégresse et de curiosité. Attrapant gentiment sa patte avant, elle la secoua doucement comme elle avait vu faire les louveteaux qu'elle côtoyait (tous des protégés de Xara...). Des poils plein la bouche, elle continua sans se préoccuper du mâle, consciente du risque qu'elle prenait :
  
  - Pourquoi ne pas le faire à deux ?

Oui. Cela fait un petit bout de temps qu'on ne l'a pas vu T-T