M.O.O.N.

Les deux loups s'avançaient au milieu du tout, ils traversaient les terres des différentes meutes sans mot dire. Le néant les séparaient, et pourtant ils n'étaient pas aussi proches que ce qu'ils auraient pu être. Quelque chose se glissait entre eux deux, une présence nauséabonde qui la gênait. Le présent les séparait, alors que le passé les rapprochait. Ces meutes, ces louves, ces loups, ces Hommes : tous n'avaient qu'une idée en tête, la séparer de Deamon et l'envoyer pourrir en Enfer. Elle avait choisi la liberté ; pourquoi Deamon n'avait-il pas fait de même ? L'avait-il oublié, pendant toutes ces années, tandis qu'elle ne vivait que dans l'espoir de le revoir ? Pourquoi était-elle rongée par l'inquiétude alors que lui avait fondé une famille ? Pourquoi fallait-il qu'elle sorte toujours perdante du jeu ?

Le loup noir l'emmenait dans un endroit puant les Deux-pattes, puant l'humain. Elle qui s'imaginait chasser dans un endroit morne comme son pelage et mordant comme le froid de la mauvaise saison, elle se retrouvait dans un jardin rempli de jolies fleurs roses. Elle s'attendait à un flot de paroles, la conversation ne menait nulle part, n'ayant jamais été commencée. Elle aurait voulu des câjoleries, des rires, des jeux stupides et elle devait se contenter de ses propres pensées maussades. L'un et l'autre étaient perdus dans leurs réflexions.

Ils s'arrêtèrent. Le guerrier se tourna vers la solitaire, les yeux doux, avec un air si tendre que la femelle oublia aussitôt toute rancune. Il y a parfois des choses qu'on ne peut dire avec les mots, surtout chez les loups. En l'occurence, les mimiques étaient beaucoup plus communicatives. Le loup s'avança et baissa la tête, se soumettant à elle, acceptant son emprise et sa colère s'il y en avait une. Tel un Canis Lupus soumis face à son dominant, le loup attendit quelques secondes avant de la relever, penaud. Son museau sous celui de la louve grise, il la regardait, se sentant coupable. Il l'avait abandonnée, il y a fort longtemps, dans la cave maudite, noire comme les ténèbres. Quelle importance à présent ?

Dans ses yeux noirs se reflétaient un amour sans faille et une tendresse sans équivoque. Elle était heureuse d'être avec lui, mais elle voulait cependant savoir, reprendre tout depuis le début. Leur amitié avait commencé par la fin, et il fallait à présent faire les étapes intermédiaires ; se reconnaître, parler, apprendre l'un de l'autre.

- Deamon... Raconte-moi tout depuis le tout début.

M.O.O.N.

Le mâle avait plongé son regard dans celui de sa tendre soeur. Elle se sentit transportée en le voyant si beau, dans cette douleur de la culpabilité. Au fond d'elle, elle savait qu'elle le faisait souffrir, et que lui la torturait ; ils étaient leurs mutuels anges gardiens et leurs mutuels vieux démons. Comment séparer ces deux faces, qui dévoraient et faisaient renaître à la fois ? Il était impossible de séparer la Moon douce et heureuse et la Moon rancunière, lacérant la Voix (et par conséquent Deamon lui-même). Il était impossible de séparer le Kyle tendre et l'horrible Voix, abandonnant avec joie Moon à son triste sort. Ils s'étaient engouffrés dans un cercle vicieux sans le savoir ; comment diable en sortir s'ils n'en connaissaient même pas l'existence ?

Le Nocturne commença d'une voix froide et égale son récit :

"Ils nous ont capturés. Sortit de la cave. J'aurais voulu rester avec toi, ou que tu sois emporter avec moi. Mais à l'époque, je n'avais assez de force pour me débattre et te rejoindre. Bo est mort quelques jours après, nous étions enfermés dans des petites cages. Léane à su s'enfuir.. Jusqu'à ce que les chiens ramènent son corps déchiqueté."

Moon enfonça ses griffes dans le sol. Elle croyait que cette annonce ne lui ferait pas le moindre effet, et pourtant une boule se formait dans sa gorge. Elle savait pertiennement, en venant ici, que Bo et Léane étaient partis dans un au-delà inconnu. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'être envahie par le chagrin. Comment Deamon, qui les avait vu dire leurs derniers mots, pouvait lui expliquer ces horreurs avec un tel calme ? Moon en était incapable. Elle avait trop de coeur.

Elle croyait n'avoir aucun lien avec le pauvre louveteau Bo ou avec la jeune chienne Léane. Elle croyait n'avoir pour seul ami Deamon, mais elle se trompait. Elle les aimait tous les trois, mais Deamon avait éclipsé tous les autres ; Deamon éclipsait toujours tous les autres, dans la haine ou dans la joie. Cette amère constation fit serrer les dents de Moon. Deamon avait beau dire, elle savait qu'elle n'était pas sa seule chérie. Pour ce genre de raisons, elle le détestait. Mais immanquablement, elle lui pardonnait. Et cela recommençait.
"Et puis, de cage à boîte, du bois à mordre, une petite sortie qui m'a valu ma liberté. Mais avant cela, j'avais été transporté dans un de leur engin à quatre roues. Loin, très loin de l'endroit où tu étais."

Contrairement aux autres donc, Deamon avait eu de la chance. Il avait toujours été chanceux, ce pauvre vieux. Il avait beau avoir perdu père et mère et n'avoir pour seule vraie famille aimée qu'une jolie louve grise, il était terriblement chanceux et veinard. Pour cela aussi, Moon le haïssait. Mais comment haïr son propre frère ? Impossible. Elle l'adorait. Ce paradoxe sans fin la dévorait.

- Et ensuite ?

M.O.O.N.

Le silence plana un instant. C'était comme s'il n'y avait eu que du néant après ces morts. Comme s'il n'y avait rien eu, qu'ils étaient directements arrivés à l'instant présent. Comme s'il n'y avait pas de suite. Ce que Deamon considérait peut-être comme rien, pour Moon c'était un immense gouffre qu'il lui demandait d'ignorer. Or oublier cet immense trou noir qui les séparait, c'était impossible. Elle ne povait s'empêcher d'avoir le vertige à l'idée de tout ce qu'il omettait dans ce récit. Soutenant son regard, elle l'obligea à continuer :

"Ma liberté ce résumait à une course poursuite avec des chiens, et dès que je n'avais plus à me soucier d'eux, je ne pouvais qu'essayer de te retrouver. Pour tout te dire, j'en étais malade. De ne plus te voir, de ne pas savoir si oui ou non tu allais bien. Et puis un loup, un ciel, m'a trouvé. Et là, la voix à détruit mon souvenir de toi. Je me suis présenté comme Deamon et il m'a ramené à la nourrice nocturne, Xara. J'ai des dizaines de soeurs et frères adopté par ma mère adoptive. Une meute que j'apprécie, plus au moins. Des jouets dans chaque meute, deux fils parce que j'en voulais et voilà."

Cette tendresse dans ses premières phrases, ce sentiment de manque, tout cela la rendait plus douce qu'un agneau. Qui aurait su que Moon serait aussi manipulable ? Et puis la façon dont il parlait des autres, comme s'ils n'avaient aucune importance la charmait particulièrement. Deamon entretenait l'illusion qu'elle était la seule à importer, et elle affectait de le croire avec des yeux de biche. Pourtant, il n'en était rien. Elle restait persuadée qu'elle n'était qu'importante qu'un instant, et qu'après elle ne serait plus rien à ses yeux. Elle se sentait désespérement temporelle.

Des jouets, une meute, une mère adoptive, une famille adoptive, deux fils, tout ça pour le fun ? La louve se sentait terriblement lésée, car elle, elle n'avait qu'un jouet, pas de meute, pas de mère, pas de famille, pas d'enfants. Elle n'était rien, personne ne l'aimait à part Deamon, personne ne se souciait d'elle. Une peine lacinante la déchirait ; elle savait que Deamon n'en saurait rien et ne le ressentirait jamais ; après tout la Voix effacerait tout, un jour ou l'autre. Ou était donc le Kyle qu'elle chérissait par-dessus tout ?

"Quelques fois, pendant plusieurs mois, je quittais People Wolf pour te chercher. Sans succès. Et bien que la voix m'avais détruit tout souvenir de toi, je savais qu'il me manquait quelque chose. Quelqu'un. Et puis au fil des mois, je me suis rappeler ton nom, qui tu étais. Mais après autant de temps, je m'étais dit que tu étais peut-être morte, ou vivante et libre. Au début je t'ai oublié bien malgré moi, mais par la suite ta présence me manquait trop pour ne pas accepter la voix."


A nouveau, la colère de la femelle fondit comme neige au soleil. Comment lui en vouloir, alors que lui-même était manipulé ? Tout cela était de la faute de la Voix, assurément. Elle lui pardonnait tout, sans exception. Et puis c'était si mignon, si gentil, de lui raconter ses sentiments, sa solitude, ses peines et ses amours. Même ignorante, la femelle restait comme une prêtresse face à son dieu ; elle le vénérait et l'adorait.

Le loup noir fit à nouveau une pause. Tout ces paroles, c'était beaucoup en une fois. Cela devait faire si longtemps qu'il n'avait pas enchaîné tant de mots ! Agitant la queue, il reporta son attention sur la solitaire. Ses yeux pétillaient, il était heureux, il avait Moon, enfin.

"Et puis, te voilà."

La femelle sourit. Oui, elle était là. L'enfer de la cave, les rencontres, tout était derrière eux. Il n'y avait plus qu'eux deux. L'univers ne comptait pas. Le mâle ajouta, plus doux et un peu inquiet :

"Et toi, que sait-il passé avec toi?"

Moon frissonna et recula inconsciemment. Il ne s'était rien passé avec elle. Elle ne se souvenait pas comment elle s'était enfuie. Elle ne se souvenait pas comment elle avait retrouvé les terres de People Wolf. Elle ne se souvenait que des mois d'errance, de tristesse. Elle ne se souvenait que de cette sensation de ne pas être là, d'être ailleurs dans un autre monde, parmi les morts. Elle ne se souvenait pas de ses tentatives de mettre fin à sa vie. Elle se souvenait juste que la perspective de retrouver Deamon l'avait sauvée de la Mort.

- Je ne sais plus.

M.O.O.N.

La femelle sentit à son côté un océan de colère se déverser dans l'âme déchirée de Deamon. Elle n'aurait jamais osé lui mentir, et pourtant elle se demanda si elle n'aurait pas dû le faire. Avait-elle fait le bon choix en lui avouant son ignorance ? Cela lui apportait de nouveaux soucis, de nouveaux questionnements. N'était-elle pas en train de le torturer au fur et à mesure qu'elle lui parlait ? Ne serait-ce pas mieux qu'elle aille faire souffrir quelqu'un d'autre ? Elle n'arrivait pas à mourir, la Mort ne voulait pas d'elle. Pourquoi ne pas recommencer son errance ?

« Un jour, tu t’en rappelleras. Et ce jour-là, je serais là, avec toi. »

Il était souvent trop optimiste selon elle. Et cette fois-ci, il l'était encore. Savait-il seulement si un jour elle retrouverait la mémoire ? Et le savait-elle ? Non, ils restaient ignorants devant l'étendue de l'avenir. Leurs vies ne tenaient qu'à un fil, et le destin était aussi incertain que la couleur du sang. Moon était persuadée qu'elle avait oublié pour toujours son passé, du moins en partie. C'était sa partie mystérieuse, plus qu'obscure, plus qu'étrange. Même Deamon ne pouvait dépasser ce seuil de bizarrerie. Lui avait sa Voix collée à la peau, elle avait son amnésie gravée dans le coeur.

Souriant à nouveau, il réussit à calmer son énervement. Tentant de dévier la conversation sur des eaux plus calmes, il demanda :

« Ça nous fait quelques années à rattraper. Tu crois que c’est faisable pour les années qu’il nous reste ? »

- Peut-être.

La femelle haussa les épaules, avant de pousser d'un coup précis et brutal le grand mâle, qui tituba légèrement. Elle adorait le prendre de surprise, comme ça, sans raison apparente. Réfléchissant en l'observant du coin de l'oeil, elle se demanda s'il mourrait avant elle. Aucun loup n'était capable de tuer Deamon, ça c'est sûr. Mais sa folie à elle seule était capable de le détruire en ne serait-ce que quelques secondes qui à lui paraîtraient des siècles. Mais la question était là : la Voix allait laisser combien de temps encore à Deamon ? Moon n'en savait rien. Mais elle se doutait qu'il mourrait avant elle ; elle était convaincue que la Mort ne voudrait d'elle qu'une fois achevée. Il fallait que Deamon meure pour qu'elle le fasse à son tour. Leurs vies étaient liées, alors pourquoi pas leur mort ?

- Peut-être.

Qui sait. Et pourtant, si cela en dépendait que du loup noir, il s’agirait d’un ‘certainement’. Il avait abandonné Moon une fois, bien que cela n’avait été sa faute. Et jamais cela se reproduirait. S’il devait la suivre jusqu’à l’autre bout du monde, il le ferait. Peut-être une confiance aveugle. Peut-être un amour fraternel immense qui empêchait toutes pensées rationnelles. Mais encore, qu’importe. La louve le bouscula alors, et Deamon failli tomber sur son flanc, surpris par le geste de la louve. Mais il ne la quitta pas du regard. Peur qu’elle ne puisse disparaitre, comme ça, d’un coup. Il n’avait pas peur de grand-chose, et même ses peurs n’étaient très réelles. Mais quand il tenait sincèrement à quelqu’un, cette peur était présente. La crainte de perdre un être cher.

Pourtant il savait s’en passer. Il savait faire comme si les autres canidés autour de lui n’étaient que des pions. Il savait se passer de contact sociaux qui, généralement, étaient primordiales pour les loups. Même les solitaires recherchaient parfois leurs congénères. Le loup noir lui se savait capable de ne pas vouloir cette compagnie. De considérer sa propre espèce comme des êtres sans importances. Un sourire fit une fois de plus soin apparition sur la face du nocturne. Oubliant à présent absolument tout, de ses fils à sa meute.

« Tu en doutes. »

Pas une question, un simple fait qui vexait un peu le mâle. Il pencha la tête sur le côté et gardait un regard joueur. Oui, même Deamon sait être mignon. Qu’allait-il faire pour se venger, la pousser ? Pas original. Il trouverait quelque chose, de toute façon. La louve en face de lui avait bien changé, mais c’était toujours Moon. Il préférait tout cela ainsi, ne voulant pas croire qu’elle avait tant changé. Ce serait avouer qu’il ne la connait plus aussi bien, après tout.

Xara/Deamon a écrit:

Up, pour pas devoir aller chercher le sujet aux archivs un jour x)

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M.O.O.N.

La louve grise savait qu'elle était capable de faire naître les sentiments les plus improbables dans l'esprit de son frère de cœur. C'était un don, une qualité, mais aussi un défaut. En effet, l'avantage de n'avoir pas le moindre soupçon d'émotion était qu'on ressentait précisément rien. Pas de peur, pas de tristesse, pas de joie, pas de douceur. Aucun risque d'être malheureux, lorsqu'on ne connaissait pas le sens du mot « bonheur ». Certes, l'on risquait de devenir furieusement asocial : d'ailleurs, c'est ce qui arrivait fréquemment à Deamon. Cependant, on était au moins à l'abri de désagréments générés par les paroles ou actions d'autrui ; seul un rire machiavélique, dernier soupçon d'humanité, y répondait. Or Moon, malgré le fait que sa vue provoquait un sentiment de joie sans limite au cher Nocturne, pouvait aussi être source de soucis multiples. En l'occurrence, sa venue dans les terres de People Wolf avait donné lieu à de multiples vagues de sensations néfastes que percevait la femelle ; jalousie, colère, inquiétude...

Les dires de la solitaire avaient fait leur chemin dans la matière grise du loup noir. Aussitôt prononcés, aussitôt répercutés ; la pauvre louve n'eut pas besoin de regarder l'expression du mâle pour connaître sa réaction. L'air puait le dépit. Les fleurs multicolores, ces immondices, semblaient elles-mêmes bouder. Pas de doute, le scepticisme affiché de Moon avait vexé son tendre ami ; il considérait sans aucun doute qu'elle devrait se réjouir un peu plus, qu'elle devait crier que oui, bien sûr, ils auraient le temps, ils avaient la vie devant eux ! Pourtant, l'heure n'était plus aux retrouvailles, et pas encore aux jeux d'enfants. C'était l'heure des aveux, des confidences. Cela, Deamon ne semblait pas l'avoir compris.

« Tu en doutes. »

La belle eut envie de le plaquer au sol, de lui répondre avec franchise que oui, elle en doutait. Qu'il lui était arrivé trop de malheurs, trop de peines, pour qu'elle accepte de continuer à faire comme si la vie était une mère parfaite, une mère aimante, une mère clémente. Longtemps elle avait joué à ce jeu, longtemps elle s'était tue, longtemps elle avait effacé d'un coup de patte amusé ses doutes. A présent, après ce long voyage entre l'existence et le trépas, elle était obligée de renoncer à ce doux rêve d'enfance : jamais elle n'aurait la conscience en paix, une destinée tranquille. Inutile de ressasser cette triste constatation, il en était ainsi et cela ne changerait pas d'une griffe.

C'est donc pour cela, qu'adoptant ce doux sourire séduisant et répondant à ce regard cajoleur, Moon s'avança vers lui, frôlant sa fourrure de son museau noir d'encre. Entre-ouvrant la gueule, elle mordilla affectueusement son oreille si douce. Son souffle chaud eut l'effet d'une brise sur le pelage sombre du lupin. Plongeant ses yeux de jais dans les siens, elle lui susurra :

- Tout ce qui m'était à venir est advenu. Cela veut-il dire qu'une nouvelle existence m'attend ?

Sur ces paroles énigmatiques dignes de Shakespeare, la femelle prit son élan : lancée à pleine vitesse, elle effectua soudainement un volte-face, continua sa course en fonçant droit sur le Nocturne et le heurta de plein fouet.
Elle avait envie de jouer. Et elle arriverait à convaincre le mâle de la suivre dans sa folle ronde.

H.S.:

M.O.O.N.

Le premier but dans la vie d'un loup est, bien avant toute chose, d'exister. Exister d'abord grâce à la rencontre entre les gamètes d'un père et d'une mère, grâce à cet amour entre deux êtres qui en a découlé un acte de reproduction - sauvage aux yeux de certains, osmose aux yeux des autres -, grâce à cette rencontre inattendue entre un loup et une louve, probablement en tous points différents, mais qui ont dans une folie subite décidé qu'ils étaient fait pour avoir une famille commune et pour en fonder une nouvelle.

Exister ensuite grâce à une naissance. Grâce à une longue attente qui a suivi d'efforts intenses, de contractions régulières, d'une magie de la vie qui rend les louves capables de la donner ; autrefois fardeau, le bébé devient ainsi offrande, cadeau de la Nature. Oui, pendant quelques secondes, le but d'un louveteau sera d'aspirer goulûment l'air frais, inspirer pour la première fois, remplir ses poumons dans un geste qui deviendra bientôt une habitude à chaque seconde.

Moon aussi avait eu pour premier but d'exister, de respirer, de vivre. Du moins elle le supposait, puisqu'elle n'en savait rien. Son passé se résumait à deux semaines dans une cave et son arrivée à People Wolf. Avant, entre temps, c'était le néant. Qu'avait pu être son second but ? Survivre et s'enfuir, sûrement. Et le troisième, une fois sortie de la cave ? Retrouver Deamon, évidemment. Et maintenant ? Quel était son nouveau but ?

Deamon voulait qu'elle retrouve la mémoire, assurément. Ce passé obscurci par l'ombre de l'ignorance ne lui plaisait pas. Il voulait à tout prix la connaître, au plus profond, la scruter, l'imprimer dans son être aux faces multiples, l'acquérir pleinement pour qu'elle ne soit plus qu'à lui, et à lui seul. Voilà dans les grandes lignes le plan de Deamon. Possessif comme il était, une Moon si lunatique qu'elle ne savait plus qui elle était elle-même, il ne pouvait pas supporter. Pas plus longtemps. Mais à vrai dire, qu'est-ce qui lui disait que cela rendrait Moon plus assurée sur sa nature profonde ?

Car la louve grise, malgré tous ses combats intérieurs, se doutait que résoudre l'énigme de son amnésie n'arrangerait pas tout. Certaines choses peut-être. Mais le problème, selon elle - son esprit légèrement embrumé -, résidait dans le présent. A vrai dire, vivre avec un passé inexistant ne la gênait pas. Elle avait presque toujours vécu ainsi. C'était aussi "normal" que la Voix pour Deamon était une chose tout à fait anodine. Pourquoi ne pas respecter ce secret ?

Oui, le problème résidait dans ce présent incertain. Moon avait retrouvé Deamon. Certes, pour l'instant, cela les emplissait tous deux d'un bonheur sans limite. Mais après ? Une fois l'euphorie passée, que feraient-ils ? Que ferait-elle ?

La solitaire refoula soudainement toutes ces pensées pour les remettre à plus tard. Elle savait qu'elle mangeait son cerf blanc, mais qu'importe ! Autant profiter. Un sourire éclaira son visage : moqueuse, elle regarda avec un soupçon de faux mépris son frère de cœur se relever lentement, couvert de poussière et agitant sa queue semblable à un tissu de broussailles entremêlées. Elle savait que sa provocation avait fait mouche, et elle attendait le menu de sa pièce.

Pourtant, le loup ne semblait pas encore prêt à jouer. L'étincelle de malice brillait déjà dans ses yeux, mais il reprit encore la parole, entourant sa sœurette d'une chaleur brûlante qui raclait le fond de sa gorge :

« Sans doute. Tu es le soleil dans mon enfer. Tu es celle que je chéris le plus, celle pour qui je mourrai sans poser de questions. L’être qui compte plus à mes yeux que le monde réuni, ma confiance et mes pensées sont tiennes. Je ne te permettrais pas de l’oublier ou d'en douter, certes, mon esprit a plus d'une place pour les autres, mais mon cœur n’a qu’une place et cette place t’appartient, même si je dois te le rappeler cent fois par jour, ma petite Moon. »

Alors que la louve grise s'apprêtait à lui répondre, absorbant comme autant d'énergie vitale les dires presque semblables à ceux qu'un amoureux lance à sa belle, elle sentit que le vent tournait et banda ses muscles ; Deamon était enfin prêt pour jouer. Guettant l'instant propice pour se jeter de nouveau sur lui, elle bascula soudain en arrière ; le Nocturne avait été plus rapide qu'elle. Se débattant avec joie, elle happait avec grand plaisir les pattes du loup noir pour le déséquilibrer, mordant, griffant ; pourtant, elle ne faisait que l'effleurer, ne lui infligeant aucun dommage.
Elle décida brusquement de changer de technique. Glissant avec aisance, elle s'échappa sans mot dire des pattes puissantes du mâle, avant de galoper, faire un demi-cercle, prendre son élan et... elle atterrit sur le dos de Deamon ; s'agrippant, elle souffla à son oreille – si elle ne l'avait pas attaqué avec tant de violence on aurait pu penser que ce fût un simple câlin d'amitié :

- Et toi tu es mon doux cauchemar qui me hante, cher Deamon...

Le jour se lève quand la nuit s’éteint. Un cycle éternel. Le soleil laisse place à la lune. À jamais sienne. Tout comme ce dernier est à cette dernière. Mais aucun des deux ne peut le comprendre. Personne, à jamais. L’amour est un mirage, pensée éternelle, imagination. Pourtant, l’âme à ses raisons. L’esprit est une arme, aussi puissante que faible. Le cœur n’est qu’un muscle, utile pour survivre. Mais destructeur telle une tempête un jour d’été. Tout arrivait à lui sans jamais l’atteindre. Telle une goutte d’eau sur le plumage d’un canard. Si la mort lui venait demain, il n’aurait le droit de refuser. La vie l’avait quitté il y a bien longtemps, certes. En jouant, situation qu’il ne lui était pas connu, son esprit s’ouvre à de nouvelles perspectives.

- Et toi tu es mon doux cauchemar qui me hante, cher Deamon...

L’amour est une arme, inexistante. Improbable. Impossible. Mais la vérité était telle que personne au monde ne pouvait s’y retrouver. Ni celui qui l’habitait, ni celle à qui elle était destinée. Jamais, Ô grand jamais un être ne pouvait avoir idée de la folie qui l’habitait. Mais jamais non plus cette folie ne pourrait s’égaler à l’amour unique qui le hantait. Nephtys était la drogue, il était le drogué. Nephtys était la lune, il était le soleil. Nephtys était le jour, il était la nuit. Certes, le mensonge restait un mensonge. Mais c’était un mensonge unique, fidèle et dangereux. Mensonge qui s’était retrouvé avec cette petite loupiote grise. Mensonge qui avait deux grands amours. L’un plus puissant que l’autre, car jamais on ne se détourne de ses origines. Mais comme le plus puissant avait disparu, le second en ressortait ultime vainqueur. Qu’importe qui elle était. Qu’importe ce qu’elle faisait. Sanguinaire ou non, gentille ou méchante. Cet amour ne comptait pas les traits de caractère, mais l’amour de l’être. Elle n’avait pas idée de l’amplitude de son être. Elle n’avait pas idée du pouvoir qu’elle détenait de lui. Malheureusement pour le mal qui l’habitait, il lui était impossible de le lui dire. Il ne savait pas comment. Le loup se laissa tomber. Tournant la tête, il essaya de la mordre. D’une gentillesse exemplaire. D’une prudence rare. Il ne cherchait pas à lui faire du mal. Cependant, sous l’angle actuel, il n’avait aucune prise certaine. Sauf une bouché de poils. Mais Dédé est un carnivore, même s’il commence à douter de son régime, comme le démontre sa signature. (xD) Alors, il se roula à demi sur le dos, ses pattes avant vinrent encercler la cage thoracique de la louve, alors qu’il l’entraîna à chuter totalement avec lui.