M.O.O.N.

Il faisait nuit, les ténèbres entouraient les terres de People Wolf. Pourtant, au milieu de cette immensité, il y avait une femelle qui n'avait pas encore fermé l'oeil. Silencieuse, cette dernière admirait le firmament avec le même respect qu'autrefois, avec la même tendresse et avec la même mélancolie qui sied aux gens qui n'ont plus rien, sauf leurs larmes pour pleurer. Oui, malgré tout les regards mignons de son cher Kyle - enfin Deamon -, elle ressentait toujours le vide de son enfance. Ce vide qui l'avait rendue si cruelle, si furieuse contre la vie, si impatiente de voir mourir autrui. Comment combler ce vide, à part avec le plus de haine possible ? Ele aurait voulu hurler sa douleur, hurler son besoin de tendresse. Pourquoi fallait-il que ceux qui sont tristes deviennent si irritables et désagréables, entrant dans un cercle vicieux ? Elle ne pouvait crier, la voix lui manquait, elle ne pouvait même pas murmurer sa douleur. Même la terre refusait de l'entendre.

Les étoiles brillaient dans le ciel noir d'encre. Les astres éclairaient d'une lueur blanchâtre le sol taché par le sang. Dans ses yeux se reflétait l'éclat de la pleine lune, cette comète grise comme elle, si calme, si reposante... C'était de la lune que la solitaire avait hérité son nom. Pourtant, elle ne ressemblait pas à la reine de la nuit. Elle aurait aimé être si calme, patiente et tendre. Or elle ne l'était qu'avec Deamon ; et encore ! Ce nom, il était ancré dans sa peau ; pourtant elle savait qu'elle n'avait pas toujours été nommée ainsi. Quel était donc son nom, autrefois ? Quelle avait été sa vie ? Qui était donc diable cette ancienne Moon qui lui manquait cruellement ; que c'était-il passé pour qu'elle perde la mémoire ainsi ? Son premier souvenir remontait à son arrivée dans la cave, face au vieux loup qui voulait la tuer. Son premier souvenir remontait à sa rencontre avec Kyle. Qu'y avait-il donc avant ?

Immobile, la louve contemplait toujours l'horizon. Assise comme autrefois, elle leva la tête, fermant les yeux. Il fallait qu'elle y arrive. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas tenté... Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas essayé... Arriverait-elle seulement à sortir du cercle de flammes brûlantes qui léchaient son âme dans lequel elle s'était enfermée ?

Un long hurlement retentit, sortant de sa gueule grande ouverte. Les yeux toujours fermés, elle sentit ses larmes couler, le long de ses joues, le long de son pelage. C'était si beau, cette louve criant à la lune son désespoir qu'elle cachait depuis des années. Il y avait dans cette scène une beauté nostalgique, une beauté trsite qui ransperçait le coeur, tout comme le grand cri de la louve grise. Quelques oiseaux réveillés brusquement s'envolèrent, morts de peur. Moon, secouée par les sanglots, se tut.

M.O.O.N.

Au milieu du champ abandonné, la femelle pleurait à chaudes larmes. Seule, au milieu de cette immensité. Seule, sans amis ni famille. Si seulement son tendre Kyle venait... Lui au moins pouvait la comprendre, la consoler. Même s'il ne pouvait pas faire grand chose face à son chagrin, il pourrait au moins dissimuler cette peine sous des paroles réconfortantes, aussi futiles soient-elles. Etait-il endormi, avec ses semblables, dans les grottes Nocturnes ? Ou écoutait-il sa plainte avec un serrement au coeur ? Que faisait-il donc en cet instant crucial ? Et s'il l'entendait, viendrait-il ? Ou l'abandonnerait-il à son bûcher inconscient ? C'était à lui de trancher. Elle n'avait plus qu'à se taire à présent. Elle avait trop parlé.

Les brindilles craquaient, la neige crissait. Là-bas, au loin, quelqu'un courait ; mais qui ? Qui donc volait au secours de la belle louve ? Etait-ce simplement du gibier qui fuyait le chasseur ou un loup en mission galopant pour réveiller ses dominants ? Toute à son désespoir, la solitaire ne semblait pas entendre le bruit autour d'elle. Tout était flou, ses sens ne lui répondaient plus ; un ouragan aurait pu se provoquer sans qu'elle ne s'en rende compte. Sa langue était pâteuse, son ventre lui faisait mal ; ses pattes allaient céder sous son poids. Gémissante, elle faisait de son mieux pour ne pas bouger ; elle était si faible qu'elle risquait de tituber, de s'effondrer.

Les pas se firent plus doux, plus silencieux. Une présence, là, derrière elle. Une silhouette se profilait. Le coeur battant, Moon reconnut Deamon. Il était venu, son cher Kyle, son ami, son confident, son frère ! Retrouvant ses esprits, elle restait encore un peu dans le flou. Le mâle, comprenant sûremment la situation, se comporta pour une fois normalement, comme si la Voix n'existait pas ; il effleura de son museau celui de la louve gris-beige, qui, délaissant un instant l'astre argenté qui brillait puissament dans le ciel, ferma les yeux et se laissa aller à son côté, se reposant sur lui. Entre deux sanglots, elle réussit à prononcer ces paroles si douces :

- Oh, Kyle ! Et si je n'étais plus Moon, que ferais-tu ?

HS:

M.O.O.N.

Le mâle noir retira doucement son museau, avant de le lécher avec étonnement. Il n'avait jamais vu Moon pleurer, c'est vrai. En même temps, la femelle avait-elle seulement pleuré un jour ? Elle ne s'en souvenait plus. Tant de souvenirs effacés, tant de secondes inexistantes ! Son passé n'était que de minces flashs, son avenir était le néant. Seul son présent était là, entier, résonnant à ses oreilles, éclairant ses pupilles. L'air qu'elle respirait avec difficulté était empli de surprise ; elle sentait des émotions diverses traverser le corps de son ami et frère. Autant de sentiments à la fois devait être un exploit pour Deamon, lui qui était si souvent impersonnel.

Après ses paroles, le silence s'installa de nouveau. Quelque chose d'indescriptible se passait ; assurément, il y avait un problème. La femelle n'arrivait plus à ressentir toutes les émotions du Nocturne, il y en avait trop, elles étaient incompréhensibles, cela la dépassait. Leur amitié était-elle si fragile qu'en ce moment crucial elle ne parvenait plus à garder le lien ? Ou était donc leur entente sans mots ni souffle d'autrefois ? Pourquoi ne répondait-il pas ? Pourquoi venait-il, si c'était pour l'abandonner à sa douleur et à son incertitude ? Hébétée, blessée, la louve sentit d'autres larmes couler sur son pelage lustré.

Le guerrier pressa son museau contre le sien, la rassurant instantannément. Plongée dans un calme relatif, son coeur rata un battement lorsqu'elle l'entendit lui répondre affectueusement :

- Moon.

Ce n'était pas la voix de Deamon. Ce n'était pas la voix de Kyle. Pourtant, elle reconnaissait cette voix, identifiable entre toutes. Si seulement elle aurait pu s'évanouir, elle l'aurait fait sans hésiter. Le monde réel lui jouait des tours, et le dernier en date venait de la percer à jour. Car le loup noir n'était pas celui qu'elle croyait être, oh que nenni ! Elle n'avait pas rencontré ce canidé dans l'enfer de la cave. Elle l'avait rencontré en arrivant à People Wolf. Et ce loup, c'était Inazuma.

Ni la colère ni l'amour ne vint à sa rescousse. Elle était si faible, si désespérée...elle n'avait plus de forces, même ses sentiments l'abandonnaient. Inazuma avait du comprendre que Deamon avait une liaison avec Kyle ; Inazuma l'avait vu hurler à la lune ; Inazuma l'avait vue pleurer ; Inazuma... Cette litanie se répétait dans sa tête, c'était insoutenable. Son secret avait été découvert, par son jouet n°1 qui plus est !

Moon n'arrivait plus à réfléchir. Elle n'en pouvait plus ; elle sombra dans le néant...

M.O.O.N.

Noir, si noir, comme son pelage, comme son museau... Des ténèbres, une lumière, des couinements, des rires, des cris, des coups de feu, et puis le silence... Là, elle reconnaissait un loup...à moins que ? Et ce chiot, ne l'avait-elle pas vu un jour ? Et celui-ci ? Et celui-là ? Et cela, n'était-ce point la cave ? Ces barreaux, cette odeur, cette ambiance si froide. Les flashs se succédaient, ni liés, ni réels, le noir, le blanc, le rouge du sang... Tout était étrange ; elle étouffait ; de l'air ! De l'air ! De l'air !

Rouvrant les yeux brusquement, la louve gris-beige aspira goûlument l'oxygène qui l'entourait. Cela lui faisait du bien. Observant le paysage, elle s'aperçut que tout était d'un blanc immaculé, même le sol. Ou était-elle ? On eût cru qu'elle était dans une grotte. Il n'y avait pas d'issue, elle était enfermée. Là-bas, dans un recoin, un loupiot la regardait. La femelle s'approcha, voulant le détailler du regard. Au fur et à mesure qu'elle s'approchait de lui, il faisait de même. Ils étaient presque museau contre museau...

Assomée, Moon tituba. Elle venait de se prendre le mur en pleine face ! Etait-ce son reflet ? Etait-elle redevenue loupiote ? La solitaire s'examina sans complaisance. Elle se reconnaissait ; quand elle bougeait, son reflet faisait de même. S'asseyant, la pauvre fille s'interrogea : tout cela se passait dans sa tête, c'était évident. Cela ne pouvait pas être réel. S'allongeant, la femelle réfléchissait à la situation dans laquelle elle s'était fourrée.

Elle s'en voulait d'avoir confondu Inazuma et Deamon parce que cela prouvait son ignorance...et surtout leurs ressemblances. Comment pouvait-elle se jouer d'Inazuma alors qu'il était si semblable à elle, presque plus que Deamon ? Deamon vivait en meute, Inazuma était solitaire comme elle. Deamon vénérait son dominant, Inazuma adorait sa liberté. Deamon se laissait envahir par la Voix comme un esclave, Inazuma était maître de ses actes. Deamon était fou et sans émotions, Inazuma était normal et tendre. Comment pouvait-elle chérir un monstre et haïr un pauvre jeune loup plein de ressources ?

Au fur et à mesure qu'elle réfléchissait, Moon se rendait compte qu'elle aimait Inazuma. Et cela la mit en rage. Elle devait le haïr, elle devait le massacrer, ou elle ne serait que la servante de sentiments temporels. Serrant les dents, elle se promit à elle-même d'être la plus horrible possible. Et pourtant, elle avait tant besoin de l'affection que Inazuma était prêt à lui porter ! Mais elle ne pouvait s'empêcher de vouloir le détruire, et par conséquent, se détruisant-elle même. Ô Moon, qu'as-tu fait ?

Replongeant dans ses ténèbres, la femelle sentit qu'on lui donnait des petits coups de museau dans les côtes. La vision floue, la solitaire s'éveilla enfin. Elle ne voyait pas grand chose, mais elle sentait l'odeur de la nuit et le parfum de l'herbe fraîchement coupée. Elle était de nouveau dans le champ, et auprès d'elle se trouvait ce stupide Inazuma. Elle aurait tant voulu le mordre, le déchirer, lui tordre les boyaux ! Mais elle n'avait pas d'énergie, elle était en position de faiblesse ; pourquoi fallait-il toujours qu'elle apparaisse faible et petite comme un enfant ?

- Dégage, tenta-t-elle de grogner. Malheureusement, cela ressembla plutôt à un murmure d'agonisant.

Moon & Inazuma ♥

CRÉDIT - CSS

Moon. Tendre Moon. Pauvre Moon. Insignifiante Lune. La louve ouvrit les yeux et avala goulument l'oxygène, comme si elle sortait d'une longue apnée. Elle semblait perdue et sans défense. Alors que par les temps qui courrait, le Solitaire se serrait fait une joie de rire au museau de la lupine, étonnement, n'en fit rien, et l'idée de même de le faire l’écœurait. Compassion et tendresse s'étreignaient dans son cœur, et il savait pertinemment qu'il était en train de se faire emporter par un courant bien dangereux, un courant de bonheur ... Celui de l'amour. - Dégage. La louve au pelage gris semblait à bout de force, tel l'oisillon qui sort de son œuf et qui tente déjà d'apprendre à voler. Inazuma toucha le museau de Moon, lui aspirant alors ses joyeuses pensées. D'un sourire, il planta ses yeux dans les siens et ferma les paupières. L'hiver était là, et le sol de la Plaine était recouvert d'une fine couche blanche, avec lequel les poils noirs du loup se mêlaient. Le ventre hirsute du mâle, corps à corps avec les flocons, auraient dû frissonner, mais la chaleur du museau de la Solitaire, réchauffait toute son âme. Des faibles rayons de lumières orangées se glissèrent sous la paroi de chair qui le séparait de la réalité, et le lupin ouvrit les yeux pour regarder le spectacle. Le soleil allait bientôt se lever, la nature reprendre son cours. Les animaux nocturnes rentreraient dans leurs trous, pendant que les autres se réveilleraient d'un long et profond sommeil. Il éprouva un grognement de satisfaction avant de s'assoir et se se lécher les membres antérieurs. - Pourquoi dis-tu ça ? C'est plutôt à moi de t'en vouloir de m'avoir confondu avec un autre. Dit - il d'une voix mielleuse et remplit de tonalités de " faux " reproches.

M.O.O.N.

Aucune force n'émanait de la louve grise. Son corps était faible ; son âme l'était aussi. Couchée sur le côté comme un enfant malade, elle ne bougeait plus. La lueur argentée de l'astre de nuit éclairait d'une aura céleste la belle solitaire. Tandis que la lune éclatante semblait souffler le chant des oiseaux de nuit, son homonyme terne et pâle semblait rendre son dernier soupir. Ce ultime hurlement, signification de toute une histoire ayant forgé un esprit des plus torturés, l'avait-elle tuée ? La douleur était-elle trop grande pour être vécue ? La vie était-elle trop brusque et surprenante pour les déchirés ?

Le grand mâle noir comme l'ébène souriait ; les yeux plongés dans les siens, il ferma les paupières et se détendit avec calme. Pourquoi fallait-il que Inazuma soit devenu beau, intelligent et puissant tandis que Moon était devenue un filet de lumière sur une terre désertique ? Pourquoi fallait-il que les autres soient plus chanceux qu'elle ? Pourquoi fallait-il qu'elle ressemble à un être aussi perverti et fou que Deamon et pas à une personne simple et tendre comme le solitaire ? Pourquoi fallait-il que ce soit elle qui souffre et pas les autres ?

Le regard noisette de la femelle gris-beige fixait toujours son jouet numéro un. Un mélange de ressentiments, de rancoeur et de destruction se reflétait dans son attitude ; affaiblie et malade mais prête pour un dernier combat mental, elle se tenait sur ses gardes, les griffes plantées dans le sol. Si elle l'avait pu, elle aurait rugi de toutes ses forces de multiples menaces ; mais elle ne pouvait point exécuter ce cher désir.

Son interlocuteur s'assit en poussant un grognement de contentement. La louve ne savait point ce qui le réjouissait ; tout ce qu'elle savait, c'est qu'il fallait qu'elle le fasse taire avant la levée du jour. En avait-elle le temps ? Cet ennemi impossible à combattre se jouerait-il d'elle à nouveau, augmentant la vitesse des heures, puis des minutes, puis des secondes ? Comment esquiver ce ô problématique obstacle à sa volonté délaissée par les éléments ?

Léchant ses pattes avant, le mâle répliqua d'une voix mielleuse :

- Pourquoi dis-tu ça ? C'est plutôt à moi de t'en vouloir de m'avoir confondu avec un autre.

Atterrée, la louve sut aussitôt qu'elle n'avait plus aucune maîtrise de la situation. Le sentiment étrange d'être acculé au bord du gouffre empara Moon. Que répondre à cela ? Que faire ? Que dire ? Elle n'avait aucune solution à portée de main ; son esprit embrumé n'aurait pas pu en découvrir de son propre chef. L'intimidation n'était pas de mise ; était-elle en position d'argumenter ? Non. Mais elle pouvait choisir le silence. Ne comprenait-il pas, le stupide animal, qu'il n'arriverait pas seul à lui tirer les vers du nez ? Que la tristesse serait le dernier rempart qui le séparerait de l'insaisissable louve ?

Cependant, Moon, aussi désespérée soit-elle, n'était pas capable de ne rien dire en un pareil instant. Elle ne voulait pas que le mâle tache son honneur ; aussi tenta-t-elle à nouveau de le faire partir, sans succès :

- Je n'ai de raisons à donner à personne, murmura-t-elle. Va-t-en !